Il faut agir contre l’épidémie de vapotage chez les jeunes
Interview avec le professeur Filip Lardon
« Le vapotage a une certaine raison d’être. Il peut dissuader les adultes de fumer ou au moins les inciter à arrêter. En revanche, je tire la sonnette d’alarme quant au vapotage des enfants et des adolescents. Il les rend progressivement dépendants à la nicotine. »
Le professeur Filip Lardon (UAntwerpen), expert en cancérologie, vient de publier un livre sur les effets néfastes du tabagisme et du vapotage. Cela s’impose, dit-il d’emblée, car le tabagisme est à l’origine d’un à deux décès par heure. Chercheurs en cancérologie, spécialistes, généralistes... nous sommes tous fatigués de diagnostiquer au quotidien des maladies liées au tabagisme telles que le cancer du poumon et la BPCO. A fortiori quand on sait que 80 à 90 % d’entre elles sont évitables.
Le vapotage est-il moins nocif que le tabagisme ?
Oui, à ce que nous savons pour l’instant. En fumant, on brûle du tabac. En vapotant, on vaporise un liquide. C’est complètement différent. Le tabac contient plus de 4 000 substances nocives et la fumée en libère d’autres, encore plus dangereuses. Le liquide de vapotage contient un cocktail de produits chimiques certes malsains, mais moins nocifs. La vaporisation libère peu de substances supplémentaires.
C’est animé de bonnes intentions que le pharmacien chinois Hon Lik a lancé le vapotage en 2003. Mais l’industrie du tabac y a ensuite vu une opportunité. De plus en plus de personnes arrêtaient de fumer ou décédaient et les vapoteurs constituaient la « génération de remplacement ». Les cigarettes électroniques ont été dotées d’emballages attrayants aux visuels « sains », de couleurs fluorescentes en vogue chez les enfants et de nombreux arômes - plus de 7 000 dans le monde entier. L’industrie a particulièrement bien réussi à administrer en masse la nicotine, une drogue qui crée une forte dépendance, aux jeunes et aux enfants.
"Les cigarettes électroniques ont été dotées d’emballages attrayants aux visuels « sains », de couleurs fluorescentes en vogue chez les enfants et de nombreux arômes."
Il y a dix ans, j’ai lancé le projet « een teer onderwerp voor nicotieners » (NDLR Un sujet délicat pour les ados accros à la nicotine) qui met en garde les élèves de troisième et quatrième année de l’enseignement secondaire contre les conséquences du tabagisme. À l’époque, je n’allais pratiquement jamais dans les écoles primaires. Ce fut toutefois le cas, ces deux dernières années. Jusqu’à 15 à 20 % des élèves de 11 à 12 ans vapotent, parfois même dès l’âge de 8 ou 9 ans. C’est édifiant. Les enfants ne se rendent pas compte que c’est mauvais pour la santé. S’ils utilisent une saveur de pomme, ils l’associent à un en-cas sain. C’est pourquoi je tire la sonnette d’alarme.
Les jeunes de 16 ans n’osent pas dire qu’ils fument, mais n’ont aucun scrupule à vapoter. Lors d’une récente conférence, près de la moitié d’entre eux ont déclaré qu’ils utilisaient un vaporisateur jetable et aucun système de recharge. La plupart d’entre eux ne savaient pas si ce dispositif contient de la nicotine, alors que c’est presque toujours le cas. En raison de cette ignorance et de ces malentendus, aussi du côté des parents, ils ont du mal à se débarrasser de la dépendance à la nicotine.
Quels sont les risques pour la santé ?
Le vapotage n’est populaire que depuis une dizaine d’années et ses effets à long terme restent incertains. Il existe cependant des risques pour la santé. La nicotine n’est pas cancérigène, mais elle crée une forte dépendance chez les adultes. Chez les moins de 16 ans, le cerveau est en plein développement. Le cortex frontal qui contient le centre de récompense est encore insuffisamment programmé. La nicotine perturbe cette programmation au cours du développement. Plus tard dans la vie, cela peut entraîner des problèmes de concentration. Plus que par le passé, les médecins signalent des symptômes semblables à ceux du TDAH, souvent chez les enfants qui vapotent. Le fait qu’une autre façon de « récompenser » apparaisse à l’âge adulte constitue également une préoccupation majeure.
"Plus que par le passé, les médecins signalent des symptômes semblables à ceux du TDAH, souvent chez les enfants qui vapotent."
Le lien entre le vapotage et le cancer n’a donc pas encore été établi ?
Des études récentes et des rapports de congrès datant de 2024 font état de lésions (légères) de l’ADN dans les poumons et l’épithélium des voies respiratoires causées par le vapotage fréquent chez les animaux de laboratoire et en laboratoire, ce qui pourrait augmenter le risque de cancer. Je ne suis pas partisan du football panique, mais il est urgent d’agir contre l’épidémie de vapotage chez les jeunes.
Qu’est-ce qui est (légalement) possible ?
Il est trop tard pour prendre des mesures radicales. Les Pays-Bas n’autorisent que les arômes neutres ou de tabac depuis le début de l’année 2024. Mais entre-temps, de nombreux vaporisateurs jetables provenant de boutiques en ligne malhonnêtes circulent en masse. Elles contiennent des taux de nicotine très élevés, parfois l’équivalent de 400 cigarettes. C’est effrayant.
Le Conseil supérieur de la santé de Belgique, au sein duquel je siège, s’est prononcé contre l’interdiction des arômes. Les fumeurs qui passent au vapotage et ne veulent le faire qu’avec un arôme de fraise, par exemple, peuvent toujours se débarrasser de leur dépendance de cette manière. Peut-être devrions-nous revoir cela. Quoi qu’il en soit, nous sommes à la traîne. À partir du 1er janvier, la Belgique interdira les vaporisateurs jetables. En attendant, les e-cigarettes pod sont apparues : de petits stylos munis d’un embout rechargeable. Il ne s’agit donc plus de vaporisateurs jetables et ils peuvent, dès lors, encore être commercialisés dans les librairies, les night shops, etc.
Une bonne piste consisterait à retirer les vaporisateurs (jetables) de ces magasins et à les réserver aux boutiques de vapotage qui, contrairement aux autres, vérifient l’interdiction d’âge jusqu’à 18 ans. L’Australie a entièrement relégué le vapotage en pharmacie et souhaite même le rendre disponible uniquement sur prescription médicale.
La ministre Vandenbroucke veut interdire le tabac dans les lieux publics.
Oui, y compris le vapotage. Le plan tabac, qui entrera en vigueur le 1er janvier, prévoit une augmentation drastique des prix et l’interdiction de fumer en présence d’enfants, dans les parcs d’attractions, les aires de jeux et les zoos. À partir du mois d’avril, les produits du tabac et du vapotage ne pourront plus être exposés de manière visible en magasin. Vandenbroucke est le premier ministre qui réagit de manière radicale et prend des mesures adéquates. Réguler les achats en ligne est évidemment nettement plus difficile.