« Reconnaissante d'avoir pu profiter de cinq années supplémentaires avec maman »
Interview avec Bruyère Zimmermann d'ALK Positive Belgium
Bruyère a 22 ans. Cet été, elle a perdu sa mère Florence des suites d'une forme rare de cancer du poumon, ALK+, après un combat inégal qui a duré cinq ans. La perte est immense, mais elle regarde aussi en arrière avec un certain sentiment de gratitude. « Ma maman ne s’est pas battue contre le cancer, elle s’est battue pour la vie. C’est pourquoi on a l’impression d’avoir gagné 5 ans. »
Bruyère, tu as perdu ta maman à cause du cancer du poumon ALK+. Peux-tu nous en dire un peu plus sur cette forme rare de cancer du poumon ?
ALK signifie Anaplastic Lymphoma Kinase, une protéine que nous possédons tous. Dans le cas d’ALK-positif ou ALK+, il y a une mutation non héréditaire dans le gène ALK, qui entraîne une prolifération cellulaire incontrôlée, provoquant ainsi un cancer du poumon. À un stade plus avancé, le cancer se propage souvent à d'autres organes. En tout, 4 % de tous les cancers du poumon sont causés par cette mutation génétique.
La moitié des personnes atteintes d’ALK+ ont moins de 50 ans. Les causes ne sont pas connues, ce qui rend cette maladie très difficile à traiter. Aujourd’hui, il n’y a pas de guérison possible, mais heureusement, il existe quelques thérapies qui ralentissent le développement du cancer.
"4 % de tous les cancers du poumon sont causés par cette mutation génétique."
Ta maman a reçu le diagnostic d’ALK+ en 2019, à l'âge de 46 ans. Quel a été l'impact de ce diagnostic sur elle ?
Cela peut sembler étrange, mais le diagnostic a été un certain soulagement pour ma maman. Elle ne se sentait pas bien depuis plus d’un an et avait dû arrêter son travail de diplomate. Elle savait que quelque chose n’allait pas, mais les médecins ne trouvaient aucune explication. Ils ont aussi dépisté le cancer, mais pas le cancer du poumon - ma mère était encore jeune et n’avait jamais fumé, personne n’a pensé au cancer du poumon comme une possibilité.
Après plus d’un an de souffrance, le diagnostic d’ALK+, une forme rare et incurable de cancer du poumon, est tombé. C’était un choc, mais cela a aussi apporté un peu de calme. C’était désormais clair ce qui se passait. Ma maman a immédiatement décidé d’aborder la situation de manière positive. Elle ne se battrait pas contre le cancer, mais pour la vie. Tout ce qui venait en plus était considéré comme une victoire.
"Elle ne se battrait pas contre le cancer, mais pour la vie."
Comment as-tu vécu cette période en tant que fille ?
J'avais 17 ans au moment du diagnostic, je n'oublierai jamais ce jour-là. Je savais que j’allais perdre ma maman, la personne la plus importante de ma vie. C'est quelque chose de terrible...
Pourtant, la clarté du diagnostic a aussi apporté une certaine forme de paix pour moi. Elle essayait de ne pas trop le montrer, mais je savais déjà avant que c’était grave. J’avais dû, par exemple, aller la chercher plusieurs fois après ses courses parce qu’elle n’arrivait plus à rentrer seule à la maison.
Aujourd’hui, j’ai 22 ans. La perte est extrêmement douloureuse chaque jour, mais je suis aussi reconnaissante pour ces cinq années supplémentaires que nous avons pu partager.
En 2020, ta maman a cofondé l’organisation ALK Positive Belgium. Que voulait-elle accomplir en particulier ?
C’était l'une de ses manières d’aider les autres. Elle voulait rassembler les patients atteints d’ALK+ pour qu'ils échangent leurs expériences concernant les problèmes qu'ils rencontraient et les traitements qu'ils suivaient. Mais elle voulait aussi les informer sur la recherche scientifique et les essais cliniques liés à ALK+, pour montrer qu'il y a effectivement des avancées autour de cette forme rare de cancer. Et elle voulait faire connaître cette maladie, auprès du grand public, des professionnels de santé et des décideurs politiques.
Ce sont autant d’objectifs pour lesquels ALK Positive Belgium continue de s'engager chaque jour.
Tu as vécu la maladie de très près. Que pouvons-nous faire, selon toi, pour mieux soutenir les personnes atteintes d’ALK+ ?
Le plus important ? Écoutez les patients.
Parce que les examens ne révélaient rien, ma maman a dû se battre longtemps pour être réellement entendue, pour être prise "au sérieux". Malheureusement, beaucoup de gens reconnaîtront cette situation, même des patients atteints d'autres maladies. Cela ne devrait pas exister, selon moi. Aucun patient ne devrait avoir à se battre pour être écouté.
En ce qui concerne spécifiquement l’ALK+, il est essentiel de sensibiliser davantage. Autant les gens que les professionnels de santé et les décideurs politiques. Comme la maladie est si rare, on n’y pense souvent pas comme une possibilité.
"Aucun patient ne devrait avoir à se battre pour être écouté."
As-tu un message à adresser aux décideurs politiques ?
Oui, aux décideurs politiques, mais aussi à l’industrie.
Grâce aux avancées scientifiques, il est aujourd'hui possible de faire plus en matière de traitement qu'il y a dix ans. Mais dans le cas des thérapies pour une maladie rare comme l’ALK+, on investit beaucoup moins que pour des maladies qui concernent un large public. Parce que le profit est placé avant la vie.
En fin d’année, on voit chaque fois de nombreuses initiatives pour récolter de l'argent pour la recherche sur les traitements (pour diverses maladies, ndlr). C’est une bonne chose en soi, mais le financement de la recherche sur les maladies rares ne devrait pas en dépendre. Les secteurs public et privé doivent unir leurs forces pour trouver des solutions. La vie doit toujours passer avant l’argent.
Avec cette campagne, nous voulons également briser certains mythes sur le cancer du poumon. Selon toi, quel est le plus grand mythe ?
Que le cancer du poumon est toujours causé par le tabagisme, et qu'on l’a donc "cherché".
Ma maman n’a jamais fumé de sa vie, elle ne buvait pas d'alcool et elle mangeait très sainement. Pourtant, elle a reçu un diagnostic de cancer du poumon à l'âge de 46 ans. Le simple fait que nous ayons des poumons signifie que nous pouvons tous contracter un cancer du poumon.