« La plupart des fumeurs veulent arrêter. Il incombe à notre société de faire davantage pour les aider. »
Interview avec Suzanne Gabriels
De nombreuses mesures ont déjà été prises pour détourner les fumeurs de la cigarette, et elles s’avèrent payantes, affirme Suzanne Gabriels, experte en prévention du tabagisme à la Fondation contre le cancer. « L’accompagnement au sevrage tabagique doit être structurellement ancré dans notre système de soins de santé. C’est là que le bât blesse encore ».
Suzanne, vous militez, avec d’autres acteurs, pour une meilleure prévention du tabagisme et un meilleur accompagnement au sevrage. Qu’avez-vous déjà accompli ?
« Avec Kom op tegen Kanker et six autres organisations, nous avons lancé l'Alliance pour une société sans tabac. Nous demandons instamment aux politiques d’aller de l’avant en matière de prévention du tabagisme et d’accompagnement à l’arrêt du tabac. C’est ainsi qu’est née l’ambitieuse stratégie interfédérale pour une génération sans tabac. Certaines de ses mesures ont déjà été mises en œuvre, d’autres suivront. L’interdiction d’étalage dans les magasins entrera, par exemple, en vigueur en avril 2025. Le mur de cigarettes que vous voyez aujourd’hui au magasin disparaîtra. Vous devrez demander des cigarettes au vendeur, qui devra les prendre dans une armoire ou un distributeur. Si le tabac n’est plus visible, les achats impulsifs diminueront. »
Quelle mesure a le plus d’impact sur le comportement des fumeurs ?
« Augmenter le prix. Toutes les études le démontrent. Mais uniquement si vous le faites de manière très significative, faute de quoi les fumeurs s’adaptent. Une augmentation de 10 % fait baisser la consommation de 4 %. Et tout aussi important : moins de jeunes commencent à fumer. »
« Le monde politique hésite parfois : est-il opportun d’intervenir sur un choix de vie ? Mais fumer n’est pas un choix de vie. Un fumeur ne choisit plus de fumer. C’est sa dépendance qui le mène à la cigarette, car sans elle, il se sent mal. Fumer lui procure un faux sentiment de mieux-être, jusqu’à ce que son taux de nicotine redescende. »
« Le monde politique hésite parfois : est-il opportun d’intervenir sur un choix de vie ? Mais fumer n'est pas un choix de vie . Un fumeur ne choisit plus de fumer.
Quel est le profil du fumeur d’aujourd’hui ?
« Le tabagisme a considérablement diminué parmi les groupes à revenus élevés. Mais il a à peine diminué en 20 ans chez les 25 % de revenus les plus bas. Le tabagisme concerne aujourd’hui principalement des personnes en situation de vulnérabilité sociale. »
« Les 30 tabacologues de Tabacstop entendent chaque jour des récits poignants. Ils doivent parfois orienter les gens vers les banques alimentaires parce qu’ils ne leur restent plus d’argent pour se nourrir. »
« Le tabagisme a à peine diminué en 20 ans chez les 25 % de revenus les plus bas. Il concerne aujourd’hui des personnes en situation de vulnérabilité sociale . »
Ceux qui échouent à arrêter ressentent chaque augmentation dans leur portefeuille.
« D’où notre appel pour un plan global. Augmenter les prix : d’accord, mais sans laisser les fumeurs sur le carreau. Soft on smokers, hard on tobacco industry, generation smoke-free : telle est l’approche à trois volets de la Fondation contre le cancer. »
« Et l’augmentation du prix du tabac est l’une des meilleures mesures pour combler le fossé en matière de santé. Une famille où les parents arrêtent de fumer dispose de plus d’argent pour autre chose. Les loisirs des enfants, par exemple. »
« La vie des fumeurs devient de plus en plus difficile : les prix augmentent, de plus en plus d’endroits sont interdits aux fumeurs - à partir de janvier également les zoos, les parcs d’attractions et les terrains de sport. La plupart des fumeurs veulent se débarrasser de leur dépendance. Mais il est très difficile de le faire seul. Il incombe à notre société de faire davantage pour les aider à tirer un trait sur cette assuétude. »
Quelles sont donc les mesures à prendre ?
« Nous avons des tabacologues et ils sont remboursés, mais ce système ne fonctionne pas bien en pratique. Les médecins généralistes et les hôpitaux n’orientent pas suffisamment vers l’accompagnement à l’arrêt du tabac. Le soutien au sevrage a été régionalisé, il y a une bonne dizaine d’années. Depuis, le remboursement des tabacologues est une compétence régionale. Je trouve cela étrange, car cela isole le tabacologue du reste, étant donné que le financement des hôpitaux reste une matière fédérale. Le tabacologue d’un hôpital flamand doit procéder lui-même à l’enregistrement pour le remboursement et ne peut pas recourir au secrétariat de l’hôpital. Les autres prestataires de soins de santé de l’hôpital travaillent avec des numéros de nomenclature qu’ils peuvent associer entre eux et à eHealth. Ce n’est pas le cas du tabacologue. Je ne dis pas que l’accompagnement au sevrage tabagique doit être refédéralisé, mais il pourrait nettement gagner en efficacité. »
Comment organiseriez-vous de meilleurs conseils en matière d’abandon du tabac ?
« Vous devez inverser le système et créer un système de non-participation. Le conseil en cessation tabagique est le choix logique, à moins que le fumeur ne le veuille pas, vous ne devriez l'imposer à personne. Mais assurez-vous que le fumeur n'a pas à le demander lui-même. À chaque seuil supplémentaire, vous risquez de le perdre. En tant que médecin ou infirmier, prenez immédiatement rendez-vous avec le tabacologue. Nous prônons également un meilleur remboursement des substituts nicotiniques. Une facture de 90 euros, ce n’est pas rien, surtout pour les personnes en situation de vulnérabilité.»
« Assurez-vous que l'accompagnement au sevrage tabagique soit un choix logique, que le fumeur n’ait pas à le demander lui-même. »
Vous misez aussi sur la sensibilisation des jeunes.
« Si vous dites aux jeunes que ces nouveaux produits ne sont peut-être pas si dangereux, pourquoi les éviteraient-ils ? Non, nous leur disons qu’ils n’ont pas besoin de ces produits pour se sentir bien. Vous n’avez pas besoin de nicotine pour être mince. Car c’est de cette manière qu’elle est présentée sur les médias sociaux. Pour des raisons de santé mentale aussi, nous devons absolument maintenir les jeunes à l’écart de la nicotine. »
« Les jeunes qui n’ont jamais connu la cigarette ne vont pas non plus en ressentir le besoin. Seulement, nous voyons des influenceurs, payés par l’industrie du tabac, promouvoir le tabagisme et le vapotage sur Instagram et TikTok. De manière implicite, comme faisant partie d’un style de vie. Cela influence les jeunes et sape notre engagement en faveur d’une génération sans tabac à l’horizon 2040. »
« Chers jeunes, vous n’avez pas besoin de produits à base de nicotine pour vous sentir bien ou pour être minces. »
Un autre obstacle à vos efforts de prévention est l’absence de chiffres récents pour en mesurer l’effet.
« Si vous me demandez aujourd’hui combien de Belges fument, je dois me référer aux chiffres de Sciensano de 2018. Il n’y a qu’une grande enquête de santé tous les cinq ans et nous attendons les résultats de celle de 2023 en 2025. Nous naviguons donc à vue pendant six ans. Nous avons des chiffres de 2022 pour la Flandre, mais rien pour la Wallonie et Bruxelles. »
« Et comme je l’ai déjà dit, les fumeurs appartiennent principalement à des groupes socialement vulnérables, tandis que les membres des cabinets et des administrations sont hautement qualifiés et ne comptent peut-être plus beaucoup de fumeurs dans leur entourage. Certains pensent que le problème est pratiquement résolu, alors qu’il n’en est rien : il existe toujours, mais n’est plus aussi visible. »